05 décembre 2007
Décimer le respect
« "Le folklore et la fierté qui entouraient la GRC s'étiolaient depuis quelque temps. Mais la vidéo de la mort de Robert Dziekanski a décimé ce qui restait du respect que les Canadiens ont longtemps éprouvé à l'endroit de leur police nationale." » (Manon Cornellier, citant John Martin, du Vancouver Province.)
Dans l'Antiquité romaine, décimer signifiait « mettre à mort une personne sur dix, désignée par le sort » (Petit Robert) :
Strabon [...] fit décimer ses soldats coupables d'avoir massacré des décurions milanais. (Mérimée, dans le Trésor de la langue française informatisé.)
De nos jours, ce verbe s'emploie couramment au sens de « faire périr un grand nombre de personnes » :
Épidémie, guerre, famine, fléau qui décime une population, un pays, une armée. (Exemples relevés dans le Petit Robert, le Multidictionnaire et le Hanse-Blampain.)
Ces régiments qui ont sauvagement décimé le prolétariat révolutionnaire? (Martin du Gard, dans le Lexis.)
Ces tribus que les puissances esclavagistes décimaient et déportaient. (Mauriac, dans le Trésor.)
La Bible et Hérodote sont d'accord pour signaler l'apparition fulgurante d'une peste qui décima, en une nuit, les 180 000 hommes de l'armée assyrienne, sauvant ainsi l'empire égyptien. (Artaud, dans le Trésor.)
Le Trésor donne en outre les exemples suivants, où décimer est utilisé par analogie ou par métaphore :
La seule et unique couche de sa fille [...] avait décimé les dents, fait tomber les cils, terni les yeux, gauchi la taille, flétri le teint. (Balzac, dans le Trésor.)
Tous les mauvais miasmes qui déciment l'organisme du soldat. (Martin du Gard, dans le Trésor.)
On lui [au poète] décima son vocabulaire. (Valéry, dans le Trésor.)
J'aimerais, en ce qui concerne ces trois dernières phrases, attirer l'attention sur le complément d'objet direct : nous avons affaire dans le premier cas à un pluriel, les dents; il est question dans le deuxième exemple d'un organisme - composé de nombreux organes; enfin, Valéry parle du vocabulaire, dont je n'apprendrai à personne qu'il réunit une grande quantité de mots.
Mais le respect? Comment, à la lumière de ce qui précède, quelque chose ou quelqu'un pourrait-il décimer le respect? Le respect n'est pas un ensemble dont on peut isoler des éléments. Je proposerais plutôt :
... la vidéo de la mort de Robert Dziekanski a détruit / a anéanti ce qui restait du respect que les Canadiens ont longtemps éprouvé à l'endroit de leur police nationale.
* * * * *
« "Les passagers avaient l'habitude d'être traités comme des clients dans les aéroports internationaux canadiens. Maintenant, il semble être perçus d'abord et avant tout comme des menaces à la sécurité." » (Cette fois, il s'agit de la traduction d'un article du Leader-Post, de Regina.)
De toute évidence, il semble ne devrait pas être présenté comme un tour impersonnel : les passagers semblent être perçus - ils semblent être perçus.
Line Gingras
Québec
« Revue de presse - Électrochoc policier » : http://www.ledevoir.com/2007/11/24/165847.html
15:00 Publié dans Cultiver le doute, On ne se relit jamais trop | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : langue française, impropriété, journalisme, presse
Commentaires
EURÉKA !
Écrit par : Societese et Décadence | 06 décembre 2007
Les commentaires sont fermés.