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01 septembre 2005

Dans Venise la rouge...

Mardi, trois jours avant mon départ. Il est grand temps d’aller revoir Torcello, mirage du nord de la lagune, première Venise abandonnée depuis des siècles dans ses marécages, où s’est mariée la fin de semaine dernière* une princesse grecque, dans la très vieille cathédrale Santa Maria Assunta. J’imagine sa robe blanche dans les odeurs des champs cuisant au soleil. J’imagine les motoscafi défilant sur le ruban d’eau que longe le sentier revêtu, les têtes des passagers s’inclinant sous le pont du Diable, les paysans courbés au loin sur leurs asperges. J’imagine le pavement de mosaïques ondulant sous les souliers cirés, et la patiente Madone dans son nimbe doré. J’imagine les garçons s’affairant à la locanda Cipriani, et encore, entre la masse du campanile et le trône d’Attila, les photographes et le service de sécurité piétinant dans l’herbe, et puis la voix de la grosse cloche…

Me voici donc dans la motonave de la nouvelle ligne 14, qui m’amènera vers l’île magique à partir de l’arrêt San Zaccaria, plus ou moins en face du palais des Doges. C’est dire que j’ai une vaste compagnie : Vénitiens du Lido ou de Punta Sabbioni (où je dois prendre un deuxième bateau), Italiens de la terre ferme, campeurs et autres touristes, dont un groupe de tout jeunes Américains fort excités. Beaucoup de monde, encore plus de bruit. Enfin nous partons; nous quittons Venise comme les marins de jadis, et la vue, cela va de soi… Mais je note bientôt que le ciel de la lagune n’est pas du bleu rosé auquel m’ont habituée mes excursions des séjours précédents. Plutôt gris, le ciel; de plus en plus foncé aussi. Et puis, après le Lido, ne dirait-on pas qu’il tourne au violet? Et ces petits éclairs, viennent-ils vraiment d’un appareil photo? Nous approchons d’une longue jetée où courent des piétons, une bicyclette. Courez, courez, vite si vous le pouvez, parce qu’il se met à pleuvoir et que l’origine des éclairs ne fait plus de doute… ni pour moi ni pour les jeunes Américains, qui se mettent à hurler - s’ils ne riaient pas aussi, je serais moins tranquille. Vite nous devons nous abriter sous la demi-toiture, et nous restons là cinq minutes peut-être, fascinés par cette obscurité traversée maintenant de grands éclairs, et par le vent qui commence à nous glacer. Mais lorsque c’est vraiment l’averse il faut descendre à l’intérieur, et tous se jettent dans l’étroit escalier, au milieu toujours des hurlements qui couvrent le tonnerre.

Heureusement, nous arrivons à Punta Sabbioni. Tout le monde se précipite; je cherche la rampe et je vais le plus lentement que je peux, mais ce qu’il fait froid! Quelques arbres, près du bord, sont terriblement secoués. Par miracle l’abri peut tous nous accueillir, et il me semble que les Américains hurlent un peu moins fort. N’empêche, quasi trempée, je laisse Torcello à ses marécages, les adolescents à leur probable laryngite, et je rentre à Venise par le premier bateau. Le beau temps aussi. Mon excursion, je la fais le lendemain, au départ cette fois des Fondamente Nuove, par le bateau de la ligne 12 : paix sur la lagune.

Mais je ne résiste pas au plaisir de raconter mon aventure aux jeunes hommes qui tiennent l’albergo San Samuele, et à la première occasion je mets à l’épreuve la patience de mes hôtes, faisant étalage de mon italien plus que vacillant, insoucieux des conjugaisons, de l’emploi tout particulier du subjonctif et de bien d’autres bagatelles encore. Je les entretiens donc, comme s’ils n’avaient jamais rien vu ni entendu de pareil, du ciel’ oscuro della laguna, du vento terribile, de la pioggia forte, des urli dei giovani Americani et des… lamponi, attraversando il cielo della laguna. Lamponi, j’insiste! Pourquoi donc se regardent-ils d’un air interdit, pourquoi se mettent-ils à rire, timidement mais quand même? De lamponi, je n’en ai point vu, prétendent-ils, pas dans le ciel en tout cas - parce que les lamponi ne sont pas de grossi lampi, comme je le crois naïvement, et qu’ils n’ont pas l’habitude de traverser le ciel. Les lamponi, on les trouve communément, à Venise, au comptoir des gelaterie : je devrais bien le savoir, puisque j’ai savouré, juste hier, un gelato aux framboises.

Dans Venise la rouge, les éclairs seront désormais de la bonne couleur.

Line Gingras
Québec

* Le mariage en question a été célébré à l'été de 1998.

Aperçu de Torcello : http://www.brunette.brucity.be/pagodes1/Venise/torcello.htm

31 août 2005

Le lion rouge, la grand-mère et l'enfant

L’histoire que je vais vous raconter, c’est une histoire très ordinaire. D’abord elle se passe à Venise - un lieu connu, Venise; des centaines de milliers de pieds de touristes y vont chaque année, des centaines de milliers de bouches de touristes en parlent : ça pue, c’est sale, c’est vieux, c’est bondé, y a rien que des vitrines; et on attend des heures pour entrer dans la basilique, et encore autant pour le palais des doges; et on se fait voler, et on paie une fortune pour un cappuccino sur la place Saint-Marc.

Vous ne suivrez jamais ces pieds-là, j’espère…; et certes vous écouterez gentiment, avec un petit sourire discret, la complainte des pauvres visiteurs qui en un jour ont bien vu et tant aimé Venise et ses gondoles - mais vous aurez des doutes.

Vous irez à Venise, à votre tour, seul ou en belle compagnie, en partie pour rendre visite aux deux lions rouges de la piazza (n’allez pas la manquer, il n’y en a qu’une). Deux vieux lions fatigués, sereins et patients comme la pluie. Qui ne sauraient prétendre garder la place, tellement ils ont l’air inoffensifs. La preuve qu’ils le sont vraiment, c’est qu’ils ne font même pas mine de vouloir chasser les pigeons. Non; ils regardent, ils attendent, ils écoutent, ils supportent. Les enfants les aiment, et tous les jours il y en a des dizaines qui leur grimpent sur le dos. Ils se laissent faire. Ils en ont vu d’autres.

C’était un après-midi. J’avais beaucoup marché. J’arrivais je ne sais d’où, étourdie de soleil et de solitude, émergeant du silence. Sur la place, d’abord les violons, une clarinette; un piano. Deux airs, trois airs à la fois. Ensuite les pigeons. Et puis la rumeur d’un millier de voix. Une euphorie de lumière, de musique et de plumes, un envol jusqu’au sommet du campanile, et l’œil qui se pose enfin sur les blancheurs de la basilique. La joie. Comme on est grand et libre et puissant sur la place, quand on s’avance au beau milieu!

Les lions sont au bout, un peu à l’écart. J’aime à caresser au passage leur flanc usé, luisant, doux au toucher, à leur télégraphier un mot d’amitié, d’encouragement : Dieu sait combien de temps ils ont encore à rester là. Je leur souhaite des enfants bien élevés, qui s’asseoient sur eux bien sagement et ne leur donnent pas de coups de pied. Mais qu’est-ce que je sais de leur vie? Est-ce que je sais seulement s’ils s’ennuient ou s’ils s’amusent de nous voir passer? Est-ce que je sais où ils vont la nuit, pour dormir?

Ce jour-là, seul le lion de gauche était occupé. Un garçon aux cheveux blonds, huit ans peut-être. Tranquille en apparence. Un rien de distingué. En fait il n’était plus sur la place, mais très haut, très loin, à galoper dans les nuages, vers les étoiles. Explorateur ou conquérant; un regard de rêveur, de visionnaire. Le lion n’aurait pu souhaiter cavalier plus heureux ni plus digne. Le garçon n’était pas seul. Derrière le lion, debout, se tenait la grand-mère, svelte dans sa robe bleue, une main légère sur l’épaule du petit le protégeant dans ses aventures, le rappelant au monde d’en bas. Elle aussi était ailleurs. Mais dans quelle affligeante contrée de chagrins, deuils et déceptions, je serais bien incapable de le dire…; et d’ailleurs je ne voudrais pas l’y suivre.

Line Gingras
Québec

Pauvre lion... : http://www.jwoodhouse.co.uk/venice/venice131.htm

29 août 2005

Au mont Laura - Le mot de l'énigme

Quelques explications sur le texte du 28 août, plus bas

Le 18 juin dernier, c'étaient les Retrouvailles pour les anciens élèves des écoles de Saint-Raymond qui ont 50 ans aujourd'hui (les élèves, pas les écoles). Quelle ambiance au centre communautaire! Beaucoup ne s'étaient pas revus depuis l'école secondaire - moi, ça remontait à l'école primaire.

Avant le souper on nous a fait monter dans des autobus scolaires, et nous sommes allés prendre un cocktail sur le mont Laura. Quand j'étais petite, il y avait là une chapelle, avec une croix et un grand «M» illuminés la nuit. Depuis, on a aménagé des sentiers, un belvédère. (La chapelle est toujours là; pour le «M» et la croix, je n'ai pas remarqué.)

Il y a sept ans, à l'époque où j'habitais encore à Ottawa, j'étais venue passer une fin de semaine à Saint-Raymond, pendant l'été. Mes parents voulaient me montrer ce qu'on avait réalisé au mont Laura. Une fois là-haut, mon père et moi nous avons marché un peu dans les sentiers. Ma mère - fatigue, mal aux jambes - est restée dans la voiture. J'étais déçue, bien sûr, et vaguement inquiète. Ça m'attristait de la laisser ainsi. Mais elle y tenait, à ce que je voie les sentiers.

Je ne savais pas qu'elle avait un cancer, que dans quelques mois elle serait morte. Elle, peut-être qu'elle s'en doutait.

Et donc, le 18 juin, pendant que nous rigolions tous devant la chapelle, les amis, les camarades d'autrefois, faisant la vie dure au photographe, je voyais aussi, derrière le photographe, un peu à droite, le fantôme de la voiture avec ma mère dedans.

Choubine

Site de la Ville de Saint-Raymond : http://www.ville.st-raymond.qc.ca/accueil.asp?no=21839

23:45 Publié dans C'était hier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : souvenirs

27 août 2005

Au mont Laura

Au mont Laura
C'est la fête
Avec les amis
De quand on était petits

On est heureux
On se retrouve
On domine le village
D'ici

Mais vous ne la voyez pas
C'est normal
Tout le monde regarde le photographe
Tout le monde rit
Moi aussi
Vous ne la voyez pas

Il y a au bord
Depuis tout ce temps
Une voiture
Un fantôme de voiture
Avec ma mère dedans
Et elle attend, ma mère
Elle attend
Seule avec son cancer
Que mon père et moi nous revenions de promenade

Choubine

Quelques images du comté de Portneuf : http://tourisme.portneuf.com/fr/site.asp?page=element&nIDElement=825

25 août 2005

À Venise

En troupeau ils avancent
Derrière le parapluie
En troupeau ils s’arrêtent
Et repartent
Et montent
Et descendent
Les ponts
Derrière le parapluie
Et le bras qui tient
Le parapluie
A mal aux jambes
Et se trompe de chemin

Choubine

Magnifique promenade dans Venise : http://perso.wanadoo.fr/labeuquette/venise/iti_avent/iti1.htm

22:55 Publié dans Ah! Venise | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Venise, poème, poésie

24 août 2005

Juste

La vie c’est une pomme
Qui pousse dans un pin
Sans savoir pourquoi
Et qui tout à la fin
Se laisse tomber dans l’herbe
Juste pour rire

Choubine

04:25 Publié dans Pas grand-chose | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, poème