10 octobre 2006
Redoubler d'effort
«Surtout, il redouble d'effort_ pour naître au monde...» (Gérald Larose, président du Conseil de la souveraineté.)
Le Petit Robert et le Lexis, à l'article «redoubler», signalent, comme relevant de l'acception «accroître beaucoup» (Lexis), la construction redoubler ses efforts :
Le vent redouble ses efforts. (La Fontaine.)
Marie-Éva de Villers fait cependant observer que dans ce sens («montrer encore plus de»), redoubler «se construit avec la préposition de». Effectivement, selon les résultats d'une recherche Google, il serait beaucoup plus courant, aujourd'hui, d'employer le tour redoubler d'efforts (137 000 occurrences, contre 736). Celui-ci, absent du Petit Robert, du Lexis et du Multidictionnaire, figure dans le Trésor de la langue française informatisé, à l'article «redoubler»; noter le pluriel à efforts.
Line Gingras
Québec
«Michaëlle Jean a raison» : http://www.ledevoir.com/2006/09/28/119269.html
05:55 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : langue française, orthographe, presse, médias
09 octobre 2006
Suspects terroristes
«À la même époque, des agents du FBI et de la CIA procédaient à des enlèvements de suspects terroristes...» (Gil Courtemanche.)
L'adjectif épithète qualifie le nom auquel il se rapporte. Et l'apposition, selon Brunot, «sert en réalité de qualification, comme un adjectif» (Petit Robert, à l'article «apposition».) Dans la phrase qui nous intéresse, suspects est un nom; terroristes peut être considéré, à mon avis, soit comme un adjectif épithète qui se rapporte au nom suspects, soit comme un nom en apposition.
Or, si on parlait, dans un contexte différent, de suspects terrifiés, on affirmerait que les suspects étaient terrifiés; si on disait suspects peu bavards, suspects malades, suspects étudiants, suspects citoyens des États-Unis, on avancerait que les suspects étaient peu bavards, malades, étudiants, citoyens des États-Unis. Comment peut-on écrire, dans ce cas, suspects terroristes? Une personne que l'on soupçonne seulement d'être un terroriste ne saurait, à mon sens, être présentée comme un terroriste. Cette expression ne me paraît pas cohérente.
Les gens que l'on a enlevés étaient des terroristes présumés, des personnes que l'on soupçonnait d'être des terroristes. Je crois deviner, cependant, d'où viennent les suspects terroristes : d'après Google, on trouve dans Internet plus de 900 000 occurrences de l'anglais terrorist suspects.
Line Gingras
Québec
«La tyrannie légalisée» : http://www.ledevoir.com/cgi-bin/ledevoirredir.cgi?http://...
05:40 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langue française, anglicisme, journalisme, médias
08 octobre 2006
Gruppo!
Personne n'est intervenu; un peu tard les regards se croisent, incrédules, interrogateurs, courroucés, amusés... : quelqu'un a vu un groupe, au cours de la dernière demi-heure?
Dans le p'tit rang croche, cela s'appelait avoir du front tout le tour de la tête. (L'expression demeure très employée au Québec, dans un registre familier; c'est le p'tit rang croche qui justifie l'imparfait.)
* * * * *
«... l'ajout, en 2003, de l'orientation sexuelle sur la liste des groupes protégés contre la propagande haineuse n'a pas entraîné l'interdiction de la Bible ou du Coran...» (Josée Boileau.)
Eh! non, l'orientation sexuelle n'est pas un groupe. Cela dit, doit-on comprendre que la propagande haineuse est autorisée dans certains cas, ou à l'endroit de certains groupes?
Line Gingras
Québec
«Intolérance» : http://www.ledevoir.com/2006/10/06/119877.html
02:00 Publié dans Le billet du dimanche, On ne se relit jamais trop | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : journalisme, presse, médias, langue française
07 octobre 2006
Êtes-vous civique? de bon aloi?
«Bégin reproche aussi à Ignatieff d'avoir sali les souverainistes québécois à l'étranger en les dépeignant [...] comme des nationalistes belliqueux et réactionnaires, alors que les nationalistes canadiens et britanniques, eux, seraient civiques et de bon aloi.» (Louis Cornellier.)
Civique se dit, d'après le Petit Robert, de ce qui est «relatif au citoyen» ou de ce qui est «propre au bon citoyen». D'après les cinq ouvrages généraux que j'ai consultés, cet adjectif ne peut pas figurer au nombre des qualités d'une personne, bien qu'il entre dans le terme garde civique, désignant la «garde nationale» selon le Lexis («garde composée de citoyens», précise le Trésor de la langue française informatisé). Je l'ai trouvé, par contre, avec des noms comme droits, devoirs, courage, vertus, instruction, sens, esprit, zèle :
Mathieu se sentit accablé par une nuée de responsabilités civiques. (Sartre, dans le Lexis.)
La littérature est devenue sociale, humanitaire, éducatrice, même pis : civique! (Léautaud, dans le Trésor.)
D'après le Multidictionnaire, le mot aloi se rencontre uniquement dans les locutions de bon aloi et de mauvais aloi : plaisanterie, luxe de mauvais aloi; succès, gaieté de bon aloi. Le Petit Robert consigne toutefois une variante avec le superlatif de bon :
Une gloire du meilleur aloi. (Caillois.)
Et le Trésor fait état d'un emploi, peu fréquent semble-t-il, où l'expression - à vrai dire une autre variante - se rapporte à une personne; il n'en cite qu'un exemple : homme de bas aloi, «qui est de basse condition, d'une profession vile, ou qui est méprisable par lui-même» (Académie, 1835). La neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, consultée en ligne, ne mentionne pas cet usage.
Il me semble donc qu'on ne saurait en aucun cas être civique, et qu'il faut estimer inapproprié, de nos jours, de présenter quelqu'un comme étant de bon aloi.
Je crois que le passage à l'étude pourrait être interprété comme suit :
... alors que les nationalistes canadiens et britanniques, eux, seraient courtois et pondérés.
Line Gingras
Québec
«Essais québécois - Faut-il avoir peur de Michael Ignatieff?» : http://www.ledevoir.com/2006/09/30/119415.html?338
05:50 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : langue française, journalisme, presse, médias
06 octobre 2006
L'adoption à la Charte
«J'évoquais alors le rôle qu'avaient joué dans la définition du Québec actuel l'adoption et les modifications faites à la Charte de la langue française.» (Michel Venne.)
Bien entendu, on n'écrirait pas l'adoption à la Charte de la langue française - c'est la préposition de qui convient. Je proposerais :
... l'adoption de la Charte de la langue française et les modifications qui y avaient été apportées.
* * * * *
«... Pierre Elliott Trudeau a amener les Canadiens à redéfinir leur pays.»
... a amené...
Line Gingras
Québec
«Relire Larose» : http://www.ledevoir.com/2006/10/02/119519.html
03:55 Publié dans On ne se relit jamais trop | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : langue française, syntaxe, grammaire, presse
05 octobre 2006
Le premier ne sera pas le seul
«L'ancien premier Pierre-Marc Johnson présidera bel et bien la Commission d'enquête sur l'affaissement du viaduc de la Concorde survenu samedi dernier, mais ô surprise! il sera secondé par deux ingénieurs connus, MM. Roger Nicolet et Armand Couture.» (Jean-Robert Sansfaçon.)
«... Prime Minister Stephen Harper and Quebec Premier Jean Charest signed an agreement...» (Communiqué.)
En anglais, les premiers ministres provinciaux portent le titre de Premier, qui les distingue du Prime Minister, le premier ministre du Canada. Cet usage n'est pas admis en français : je lis dans le Petit Robert (2007) que premier s'utilise comme nom afin de désigner le premier ministre de Grande-Bretagne, mais que cet emploi, déjà considéré comme un anglicisme, est abusif pour d'autres pays.
Line Gingras
Québec
«Un départ raté» : http://www.ledevoir.com/2006/10/04/119715.html
http://www.pm.gc.ca/eng/media.asp?id=1151
00:55 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : langue française, anglicisme, journalisme, médias
04 octobre 2006
Rencontre
«Après la rencontre, Bob Rae refuse de rencontrer les journalistes en compagnie de son visiteur.» (Mario Cardinal, journaliste, auteur et ancien ombudsman de Radio-Canada.)
Après l'entrevue ou Après l'entretien...
Line Gingras
Québec
«Bob Rae et le Québec» : http://www.ledevoir.com/cgi-bin/ledevoirredir.cgi?http://...
00:00 Publié dans On ne se relit jamais trop | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langue française
03 octobre 2006
De craintes de représailles
«... c'est une victoire du terrorisme quand l'Opéra de Berlin, de craintes de représailles, retire de son affiche un opéra de Mozart.» (Gil Courtemanche.)
D'après ce que j'ai vu dans les cinq ouvrages généraux que j'ai consultés, le nom crainte s'emploie dans les locutions prépositives de crainte de et par crainte de; on le trouve aussi dans les locutions conjonctives de crainte que et par crainte que :
Par crainte des représailles. (Petit Robert et Trésor de la langue française informatisé.)
Par crainte de laisser échapper des bêtises. (Zola, dans le Trésor.)
Il marche lentement, de crainte de tomber. (Lexis.)
Il n'ose partir de crainte qu'elle ne vienne pendant ce temps. (Multidictionnaire.)
Il se taisait, (de) crainte / dans la crainte / par crainte de les importuner. (D'après le Hanse-Blampain.)
De crainte du feu. (Zola, dans le Trésor.)
Selon tous les exemples que j'ai rencontrés, crainte s'écrit au singulier dans ces expressions.
Line Gingras
Québec
«La tyrannie légalisée» : http://www.ledevoir.com/cgi-bin/ledevoirredir.cgi?http://www.ledevoir.com/2006/09/30/119484.html?338
05:30 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : langue française, orthographe
02 octobre 2006
Leur inspiration, idéologie et tactiques
«Elles trouvent leur inspiration, idéologie et tactiques sur les quelque 5000 sites Internet islamistes, ajoute le journal de la capitale américaine.» (Le Devoir.)
Un adjectif ou déterminant possessif singulier ne peut se rapporter à trois noms coordonnés désignant des réalités distinctes - à plus forte raison lorsqu'un de ces noms est au pluriel. Mais il ne suffirait pas de mettre leur au pluriel pour que la phrase soit correcte, puisque le déterminant possessif, comme l'article, «se répète normalement devant les noms d'une série» (Hanse et Blampain) :
Elles trouvent leur inspiration, leur idéologie et leurs tactiques...
Bien entendu, en anglais on n'a employé l'adjectif their, d'ailleurs invariable, que devant le premier nom :
... their inspiration, ideology and tactics...
Tout s'explique...
* * * * *
«Il présentait alors la guerre en Irak comme "le front principal de la guerre comme le terrorisme"...»
On nous parle assez souvent de la guerre contre le terrorisme...
Line Gingras
Québec
«Irak : un rapport secret écorche la logique Bush» : http://www.ledevoir.com/2006/09/25/119009.html
10:10 Publié dans On ne se relit jamais trop | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : langue française, syntaxe, grammaire, anglicisme
01 octobre 2006
À l'épicerie
J'aime marcher le soir dans la ville. Dans la pénombre des rues tranquilles, les grands arbres étendent leurs bras amis. Les nuages, invisibles à cette heure, ne manquent à personne. Je tourne à droite dans la Troisième Avenue, commerçante; il y a du monde. Quelques groupes s'attardent aux terrasses encore ouvertes. D'avance, ils bravent l'hiver...
À l'épicerie je laisse mon chariot à l'entrée, où l'on dépose les boîtes pour les livreurs; et l'aventure commence.
Les prunes bleues sont très belles et c'est enfin la saison du raisin muscat. Je prends des pommes, des bananes, du fromage, du pain... Je viens de choisir une boîte de céréales lorsque tout à coup un grand bonhomme à bandeau, qu'on dirait frais descendu de sa motocyclette, se plante devant moi. Il a un énorme sac de carottes et l'allure presque menaçante : «Vous connaissez ça, le jus de carottes?»
Je dois avouer que oui, j'y ai déjà goûté. «C'est bon? On m'a dit de mettre du céleri...» Je l'assure que le céleri n'est pas indispensable, que pour ma part j'aime bien le jus de carottes sans rien d'autre. «Je devrais pouvoir me faire du jus de carottes, avec mon blender?» Je n'y connais pas grand-chose, et je n'ai jamais essayé, mais pourquoi pas? «Hier soir, j'ai coupé des oranges, je les ai mis dans le blender, et ç'a très bien marché. Je devrais pouvoir faire pareil avec les carottes? Je vais les couper en long et les mettre dans le blender?» Je suppose que ça ira. «Je l'ai payé une piastre, hier, mon blender, dans un marché aux puces»; enfin, brandissant le gros sac d'un air de triomphe : «Et ça, une piastre et quarante!»
En voyant son sourire de petit garçon, je me dis que la vie, pour une fois, lui aura fait un cadeau.
Line Gingras
Québec
03:50 Publié dans Le billet du dimanche | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : Québec